En route pour un déménagement, Chihiro et ses parents s'aventurent dans un tunnel étrange. De l'autre côté, ils découvrent un paysage libre et paisible et déambulent parmi les échoppes étrangement désertées. Ainsi débute ce conte poétique made in Japan.
Chihiro est une fillette timorée qui va se retrouver propulsée, malgré elle, dans un univers étrange, celui de Miyazaki qui revient ici, après princesse Mononoke, plus magistral que jamais nous raconter " le fabuleux voyage de Chihiro ". Trahis par leur avidité, les parents de Chihiro se voient changés en porcs tandis qu'elle doit trouver un moyen d'échapper au peuple de la nuit qui flaire les humains à plusieurs kilomètres.
Elle trouve ainsi appui chez Haku qui va lui ouvrir les portes des Grands Bains, un institut étrange où les dieux de tous acabits viennent se délasser une fois la nuit venue. Commence alors pour elle un parcours initiatique qui va la mener de simple sbire à sa propre rédemption et celle de sa famille.
C'est un plaisir incomparable que celui de retrouver l'univers délirant de Hayao Miyazaki où cohabitent les Sans-visages, les boules de suie, les vieillards à huit bras, les nourrissons de plusieurs quintaux, les dragons et autres dieux de la rivière.
Comme dans ses précédents films, il nous propose de suivre un personnage qui a trouvé une porte vers l'autre côté, celui de la magie, de la féerie et de l'oubli du dehors. Sorte d'Alice au pays des merveilles, chacune des œuvres de Miyazaki et celle-ci en particulier suit le sentier du fantastique jusqu'à rencontrer celui du monde réel.
Alors que Yubaba, la vieille tenancière des lieux, un peu sorcière sur les bords fait tout voler autour d'elle et que les êtres se métamorphosent en ce que leur khârma leur dicte, on croise un vieillard éreinté qui doit chauffer les thermes avec du bon vieux charbon. On a également affaire à un contrôleur de billets sur une ligne de chemin de fer à moitié recouverte par les flots.
Miyazaki rend compte d'un monde où les valeurs se perdent comme les identités et pour mieux nous les rappeler choisit l'histoire simple (et classique me direz-vous) d'une fillette innocente et sincère confrontée à la vraisemblable déchéance de la morale. Le travail, le nom comme identité individuelle et reconnaissance communautaire, la loyauté, le désintéressement opposé à la cupidité sont des thèmes que le Japon contemporain questionne perpétuellement et qui trouvent ici une partie de leurs réponses.
Mais au-delà des valeurs
standards, c'est un pont spirituel qu'il jette entre une société traditionnelle et l'attrait pour des valeurs plus pécuniaires où l'or-étalon remplace les croyances religieuses : les métamorphoses successives des personnages s'inscrivent dans un cycle, celui des réincarnations déterminées par les chemins de vie individuels ; voir Yubaba et sa jumelle coexister dans un monde où l'une a constamment le dessus sur l'autre, c'est réécrire l'antagonisme permanent qui existe dans chaque parcelle de notre univers.
Et voir la mer gagner peu à peu du terrain sur le microcosme fantastique, c'est rappeler les craintes et la crise d'identité d'un Japon insulaire où le seul salut reste le pont ; pont entre passé et futur, entre le pouvoir de l'imaginaire et celui de l'argent.
Il y aurait encore à fouiller dans le Voyage de Chihiro tant il recelle de trésors enfouis à l'instar de ces décors riches et somptueux où la palette graphique de l'artiste jointe à celle de l'ordinateur fournit une image des plus splendides, d'une extraordinaire corporéité, loin de la pauvreté de celle que l'on peut voir aujourd'hui dans l'animation commerciale. On se croirait revenu à la grande époque de la Toei Animation où valeurs et qualité graphique faisaient excellent ménage. Les studios Ghibli ressuscitent cet âge d'or, y incorporent un peu d'inspiration, une grande dose de talent pour peindre une des fresques les plus abouties du cinéma d'animation japonais.
Après le succès amplement mérité de Princesse Mononoke en France, et même dans le monde, il aurait été impensable que personne ne songe à importer Le Voyage de Chihiro, du même auteur, en Occident. Le pari pris fut largement remporté, ce dessin-animé s'étant classé très confortablement au box-office, enfonçant au passage davantage les préjugés malheureusement trop présents sur l'animation nippone.
Hayao Miyazaki, auteur et réalisateur, décida de changer de registre avec Le Voyage de Chihiro. Alors que Princesse Mononoke se déroule dans un pseudo Moyen-Age japonais, Chihiro se situe, lui, dans un contexte plus contemporain.
L'histoire met en scène une famille japonaise, dont Chihiro, pleurnicheuse et Ô combien capricieuse, est la fille unique. Cette famille se retrouve, suite à une série d'événements hasardeux, dans un village apparemment abandonné.
De fil en aiguille, Chihiro se verra perdue sur une île étrange accueillant des dieux dans un "Palais de Bain" aux allures typiquement japonaises.
Le film nous plonge donc dans un univers mystérieux, surprenant, captivant, où l'on nous sert sans complexe des monstres et des personnages tous aussi fascinants les uns que les autres.
Le ton est donné et certains pourront même prétendre que Chihiro est une adaptation très libre du Alice aux Pays des Merveilles de Walt Disney (1950), lui-même tiré du livre éponyme de Lewis Carrol. Il faut reconnaître que cette affirmation n'est pas fausse. Mais il ne s'agit ici heureusement pas d'un remake, même si l'histoire pourrait le faire penser.
Comme tous les films de Miyazaki, Le Voyage de Chihiro nous apporte son lot de surprises et de réflexions.
Parmi celles-ci, on pourra noter la présence d'une divinité récurrente parmi les croyances japonaises, Sans-Visage, qui attire ses victimes en leur promettant monts et merveilles afin de mieux les dévorer. Dans Le Voyage de Chihiro, Sans-Visage cherche désespérément quelque chose, mais on ne sait quoi. Toujours est-il que ce dernier est attiré par Chihiro et lui propose sans cesse des pépites d'or en échange d'une chose que lui seul connaît... Chacun pourra interpréter ceci comme il le voudra, mais force est de constater que ce film amène à réfléchir.
Autre réflexion, et pas des moindres, celui du passage de Chihiro de l'enfance à l'âge "adulte". Pleurnicheuse et insupportable au début du film, elle finit par se prendre en mains par amour pour ses parents afin de les sauver. Le titre du film prend alors une autre signification : il ne s'agit pas seulement d'un voyage physique, mais également d'un voyage de spirituel ("Spirited Away", titre américain), voyage dont le terme aboutira à une nouvelle Chihiro, différente et mature. Techniquement, Le Voyage de Chihiro est loin d'être médiocre. C'est superbe et riche en couleurs, très agréable pour les yeux. Inutile donc de s'éterniser sur ce point. En revanche, arrêtons-nous un instant sur la bande son. En effet, les musiques de ce film, composées de mains de maître par Joe Hisaishi, sont sans doute les meilleures entendues dans d'un dessin-animé. Surpassant sans problèmes les somptueuses mélodies de Princesse Mononoke, celles du Voyage de Chihiro nous transportent dans un autre monde, laissant le piano évoquer une Chihiro perdue dans une prairie orchestrale de toute beauté. Certains thèmes sont même extrêmement opposés, passant d'une mélodie dans le plus pur style français à une autre dont les consonances sont typiquement japonaises. Le Voyage de Chihiro est donc un film exceptionnel qui se hisse parmi les plus beaux, tous styles confondus ; une expérience fantastique et très enrichissante, qui permettra aux enfants occidentaux de découvrir le Japon et ses merveilles autrement que par des niaiseries comme Pokemon, a contrario dégradant pour une animation nippone qui peut-être, comme avec Le Voyage de Chihiro, source de beauté, d'intelligence et de découvertes.
Chihiro, une fillette indolente, découvre un passage vers le pays des dieux… Réponse de MIYAZAKI quant au choix du caractère du personnage principal : "Encore une fois, je ne l'ai pas choisi. De nos jours, au Japon, nombre de petites filles sont comme elle, blasées malgré les efforts déployés par leurs parents. J'ai eu l'idée de ce film en m'apercevant qu'il n'y en avait aucun qui parlait avec justesse de ces enfants d'une dizaine d'années. La fille d'un de mes amis m'a dit un jour que tous ces personnages d'enfants étaient à ses yeux fictifs, irréels. J'ai eu alors envie de parler de ces gamins, et de leur dire que dans la vie réelle, les choses pouvaient également bien se passer. C'est pourquoi Chihiro devait être banale, à l'image de toutes les petites filles japonaises d'aujourd'hui. Elle n'a pas de pouvoir particulier, comme c'était le cas pour mes anciennes créations, Nausicaä, Shita ou Kiki. A chaque fois que je la dessinais, je me demandais si cette petite fille que je connaissais pourrait faire la même chose. Il m'a fallu trois ans pour faire ce film. Elle avait 10 ans au début du projet, et 13 à la sortie en salle. Quand elle l'a vu, elle m'a dit que je ne l'avais pas trahi. Tout est faux dans le film, mais je n'ai pas trahi la confiance de cette enfant."